Ambert 2016 [5/5]: composants et choix techniques

Andouard cm

Les constructeurs du Concours de Machines n’ont pas seulement fabriqué des cadres, ils ont eu à faire des choix techniques et à sélectionner des composants pour répondre à un cahier des charges commun. Et comme ils étaient 19, il est évidemment intéressant d’observer à la fois les tendances et les solutions plus originales qui ont été convoquées.

Une histoire de transmission

Le profil des trois épreuves imposait une plage de développement assez large et la plupart des constructeurs ont choisi le pédalier double compact associé le plus souvent à une cassette 10 ou 11 vitesses à large amplitude.

La transmission double compact de la machine PechTregon.

La transmission double compact de la machine PechTregon.

On a vu deux pédaliers triples, l’un sur le tandem, l’autre sur la machine Berthoud. Dans les deux cas, le pédalier triple était associé à une cassette 9 vitesses augurant une bonne longévité aux yeux de ceux que la finesse des chaînes et les pignons 10, 11 et bientôt 12 vitesses ne rassure pas.

Pour le tandem, le choix d’une grande plage de développement se justifie parfaitement. Si un tandem a un avantage aérodynamique sur le plat, il peut aussi être pénalisé par son poids en côte, et il doit donc pouvoir être emmené aussi bien à grande vitesse qu’à des allures relativement lentes, surtout sur de la longue distance.

Le pédalier triple du tandem Julie Racing Design et son dérailleur avant intégré :

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L’autre pédalier triple équipait la machine de Berthoud et il s’agissait d’une fabrication maison à 4 branches acceptant un grand plateau jusqu’à 50 dents et dont le petit plateau peut descendre à 22 dents. Cette randonneuse acceptera ainsi un chargement plus important que les trois petits kilos du concours et pourra affronter les raidillons sans difficulté.

Un pédalier calibré pour la randonnée en Auvergne : plateaux 4 branches de 26 dents en BCD 64 et de 38-48 dents en BCD 104.

Un pédalier calibré pour la randonnée en Auvergne : plateaux 4 branches de 26, 38 et 48 dents (BCD 64-104).

Enfin, on a pu voir 4 monoplateaux. L’un – nécessairement – sur la machine Pierre Perrin équipée d’un Rohloff. C’était le seul moyeu à vitesses intégrées du concours et ses 14 vitesses offrant une plage de développement de 526 % n’ont sans doute pas été mis en défaut malgré la grande variété de dénivelés proposée par les épreuves.

Les 3 autres monoplateaux équipaient des transmissions 1×11. C’est le choix qui a été fait par Edelbikes, PechTregon sur l’une de ses deux machines et par Victoire. Dans son compte rendu sur le choix des composants, le constructeur de Clermont-Ferrand confirme que la plage de développement de 420% offerte par la cassette 10-42 était adaptée au parcours, proposant notamment, en association avec le plateau de 42 dents, un développement mini de 2,2 m. Le choix était à peu près le même chez Edelbikes :

Edelbikes est l'un des trois constructeurs à avoir choisi le 1x11.

Edelbikes : l’un des trois constructeurs à avoir choisi le 1×11.

En revanche, pour une épreuve longue et ardue comme la French Divide dans laquelle cette dernière machine a ensuite été engagée, un petit plateau est venu s’ajouter au 42 dents (on notera au passage que, comme nous le pressentions, il aura suffi de modifications minimes pour dévoiler sous cette sage randonneuse virginale un authentique tout terrain). Les trois épreuves du Concours de Machines ne permettaient pas d’évaluer véritablement la longévité d’une transmission mais étaient suffisamment exigeantes pour révéler d’éventuelles faiblesses. Il n’y a pas eu à ma connaissance de problème technique au niveau de la transmission sur ces trois machines.

Le freinage

Côté freinage, on pouvait s’attendre à une large prédominance des freins à disques dont sont désormais classiquement équipés les vélos destinés au gravel même si, dans les faits, il n’y a réellement que sur route mouillée ou en cas de chargement très important que le freinage à disques se montre supérieur. Comme nous l’avions constaté lors de nos tests, de bons freins sur jante à tirage central, voire à tirage latéral à doubles pivots, permettent déjà d’atteindre la limite d’adhérence du pneu sur route sèche, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière. Pour rouler en juillet sur des itinéraires intégrant des chemins, le freinage sur jante semblait donc une bonne option permettant d’alléger à la fois l’équipement et la construction, notamment au niveau de la fourche. Le freinage à disques a aussi d’autres inconvénients, mais  pour faire bonne mesure reconnaissons qu’il a ses avantages en assurant par exemple une meilleure longévité de la jante ou en permettant le montage de différents diamètres de roues sur un même cadre si l’on souhaite varier la largeur du pneu.

En tous cas, les constructeurs, eux, n’ont pas tranché puisqu’on a retrouvé sur leurs machines aussi bien des cantilever (chez Cycfac, Sebastien Klein, Gilles Berthoud, LaFraise, Fée du vélo…), des V Brake (Mannheim, cycles Cattin), des freins à tirage latéral (Petrus) et que des disques (Andouard, PechTregon, Perrin, Victoire, Vagabonde…).

klein canti

Très classiquement, les cantilever Paul du Sebastien Klein servent aussi de support au porte-sac.

Comme on l’a vu dans la présentation de leur machine, les cycles Pierre Perrin ont eu la particularité d’associer des freins à disque hydrauliques à des leviers route mécaniques classiques grâce à un convertisseur (plus de détails dans l’article précédent de la série) et PechTregon a utilisé une géométrie de fourche particulière s’adaptant aux contraintes du freinage à disque. Les cadreurs qui ont opté pour le disque ont en effet, de façon plus ou moins visible, eu à adapter leur géométrie ou leurs tubes : les fourreaux du Victoire ont ainsi fait l’objet auprès de Reynolds d’une commande spécifique pour leur diamètre et leur cintrage.

perrin patte arr

Le freinage à disque nécessite un renfort spécifique, ici sur la machine Pierre Perrin.

Autre constat, sur les machines qui ont majoritairement opté pour des freins sur jantes, on n’a vu aucun freinage à tirage central à double pivot (type Mafac Raid) ce qui a pourtant l’avantage, par rapport aux freins V brakes et surtout aux cantilevers, d’offrir une usure des patins plus homogène et qui éliminent le risque de rotation du patin usé sous la jante. Les seuls qu’on aura donc pu apercevoir – puisque je ne faisais pas partie du concours j’exclus bien sûr les Mafac 2000 de mon Mercier – étaient donc ceux qui équipaient la randonneuse d’un membre du jury :

Freins à tirage central brasé sur les haubans sur le vélo conduit (et construit) par Jan Heine.

Freins à tirage central brasés sur les haubans sur le vélo conduit (et construit) par Jan Heine qui, grand voyageur, ne pouvait pas se dispenser d’un garde boue-démontable.

Les freins Compass ci-dessus, reproduisant la géométrie des Mafac Raid, nous rappellent que des freins à pivot peuvent être parfaitement compatibles avec des pneus larges (42 mm) associés à des garde-boue enveloppants (ici un modèle martelé de chez Honjo).

Parlons pneus

C’est probablement du côté des pneus que se manifestait le plus la distinction entre deux écoles. En simplifiant, on peut dire qu’une approche classique consistait à monter des pneus de 700 en largeur allant de 28 à 32 mm, ces quelques millimètres en plus par rapport à des pneus de 23 mm étant destinés à affronter les chemins caillouteux de la 3e épreuve. L’autre école, appelons-la moderne puisqu’elle semble faire échos à une tendance récente apparue aux États-Unis, a opté pour des pneus larges (de 35 à 42 mm) montés plutôt sur des jantes en 650B. Pour rappel, en 2006 et en 2013, la revue américaine Bicycle Quarterly a mené une série de tests quantitatifs et reproductibles en conditions réelles pour évaluer le rendement des pneus. Jusqu’alors, ce type de tests, menés notamment par les fabricants, étaient effectués sur rouleaux. Les deux principaux enseignements étaient que la pression des pneus est quasiment sans influence sur le rendement et qu’à qualité de construction équivalente un pneu large offre moins de résistance au roulement qu’un pneu étroit, et cela aussi bien sur mauvais revêtement que sur route. Ces conclusions étaient suffisamment contre-intuitive pour mettre du temps à faire leur chemin. Il est toutefois intéressant de noter que les largeurs de 20 mm ont quasiment disparu des catalogues de fabricants de pneus, que de plus en plus de coureurs délaissent les pneus de 23 pour passer au 25 mm (si tant est que la largeur de cadre de l’équipementier le permette) et que Trek sort actuellement un vélo de route haut de gamme, le Domane RSL, équipé de pneus de 28 mm ce qui, il y a 5 ans, aurait suscité une franche sidération dans les milieux cyclistes.

Reste qu’il n’est pas encore facile de trouver des pneus (vraiment) larges qui soient construits sur une carcasse souple propre aux pneus performants. Seule une usine du groupe Panasonic propose aujourd’hui ce type de pneus. Et alors même que l’approvisionnement local était l’un des critères du concours, l’essentiel des pneus équipant les machines est sorti de cette usine japonaise sous différents labels : Panaracer, Grand Bois, Soma, Compass. Précisons que Compass est la société sœur de Bicycle Quarterly et que les pneus de cette marque ont été développés à l’aune des enseignements fournis par la série de tests comparatifs effectués par la revue. Les pneus Compass encore peu diffusés en France (ils sont distribués depuis peu par 2-11 cycles) étaient de loin les plus répandus parmi les machines du concours.

650B x 42 et garde-boue sur la machine Milc.

Pneus Compass Babyshoe Pass (650B x 42) et garde-boue sur la machine Milc.

On ne peut s’empêcher de penser que cette omniprésence des pneus japonais a quelque chose d’un peu cruel pour les pneus de la Confrérie des 650 alors même que l’approvisionnement local (ils sont fabriqués en France par Hutchinson), l’intitulé du concours (la randonneuse légère) et la forte représentation du format 650B sur les machines auraient dû les favoriser. Mais comme on l’a vu, l’intérêt du 650B est de proposer des pneus larges avec un comportement équivalent à celui d’une roue de 700 légère. De fait, ce diamètre semble donner toute sa mesure avec des pneus demi-ballon (entre 38 et 45 mm). En dessous, les constructeurs ont le plus souvent opté pour des roues de 700. Bien sûr, il y avait quelques exceptions : Berthoud et Mannheim avaient équipé leur randonneuse 650B de pneus Grand Bois de 32 mm (section nominale, la section réelle des Grand Bois étant encore un peu plus étroite). Mais force est de constater que, dans leur majorité, les constructeurs ayant choisi le 650B ont préféré se tourner vers une section plus importante que le petit 32 des pneus de la Confrérie.

berthoud grand bois

Les temps changent : la section de 32 mm des Grand Bois équipant la randonneuse Berthoud était l’une des plus étroites du concours, ce qui n’était d’ailleurs pas sans courir de risques.

Il y a eu un certain nombre de crevaisons lors de l’épreuve du gravel, et il semble que, dans la quasi totalité des cas, il se soit agi de crevaisons par pincement de jante, soit en raison de sections trop étroites (Belleville Machine en 700×28, Berthoud en 650×30), soit par manque de pression (Edelbikes équipé de pneus de 42mm). Sur les sections gravillonnées, on a pu constater que les pneus larges Compass et Soma (il n’y avait pas de Grand Bois en largeur 42) étaient particulièrement rapides et stables, et ce d’autant plus que la pression était basse. Une pression un peu trop élevée pouvait à l’inverse causer un effet rebond (le pilote de la machine Milc s’est d’ailleurs arrêté pour baisser la pression). En revanche, dans les descentes accidentées, au cas où un gros bloc de pierre ne pouvait être évité, la crevaison par pincement de la chambre à air contre la jante devenait presque inévitable. Sur le parcours de la 3e épreuve, si on voulait donc conserver la bonne traction sur gravier et cailloux sans risquer les crevaisons dans les passages plus accidentés, il fallait recourir à une section plus grande. On excède alors le format demi-ballon pour passer au format ballon (environ 50 mm) avec des pneus « de route » suffisamment larges pour affronter tous types de chemins tout en conservant une bonne allure. Les Américains ont baptisé Enduro allroad ce type d’usage visant la rapidité sur tous types de revêtements et atteignant les largeurs maximales permises pour conserver un Q Factor standard. Compass propose ainsi un pneu en 650×48 et un pneu de 26 pouces de 54 mm de large, toujours avec la même enveloppe légère qui caractérise les pneus Grand Bois / Soma / Compass :

compass 26 chape

Le Rat Trap Pass de Compass, un pneu 26 pouces « de route » de 54 mm.

Le pneu de 26 pouces format ballon apporte une section significativement plus grande tout en conservant un diamètre de roue comparable à une roue de 700 chaussée en pneu de 23. Si on en croit Jan Heine, ce volume supérieur n’occasionne pas de perte de rendement, y compris sur route. Parmi les machines chaussées en 42 mm (Vagabonde, Sébastien Klein, Milc, PechTregon…), seul Edelbikes semblait avoir une largeur de cadre suffisante pour accueillir ce nouveau format. Il aurait été intéressant de voir un représentant de cette nouvelle famille au concours mais on n’aura vu qu’une seule roue de 26 pouces sur les machines (celle qui équipait la remorque du tandem Julie Racing Design).

Côté pneumatiques, une autre innovation déjà un peu plus ancienne était en revanche bien présente : le tubeless. On le retrouvait notamment sur les machines d’Andouard, de Perrin, de Grade 9, montées avec des petites sections de 28 mm nominales (mais légèrement augmentées par le montage tubeless). Le tubeless était le bon choix puisque c’est l’un des meilleurs moyens – avec le boyau mais qui n’était pas présent sur les machines du concours – pour éviter les pincements de chambre. L’idéal était sans doute de l’associer avec des sections plus larges, ce fut par exemple le choix de Victoire dont les pneus Compass 35×700 étaient montés en tubeless. La machine a subi une crevaison mais le liquide anticrevaison a fait son office et il a suffi au pilote de donner quelques coups de pompe pour remonter en pression et repartir aussitôt.

Victoire tubeless

Tubeless et section de 35 mm chez Victoire : le pari gagnant pour baisser en pression en limitant les risques sur le parcours gravel.

Le garde-boue, toujours debout ?

Ce fut l’un des débats dans les travées du concours. Pour beaucoup – j’en fais partie – une randonneuse se doit d’avoir des garde-boue. Le règlement autorisait cependant leur absence (qui faisait simplement perdre une bonification). C’était sans doute une sage décision. Si on regarde en effet les grandes épreuves de longue distance sur des routes de qualité variable, du bitume de la Transcontinental race aux chemins de la French divide, le fait est que peu de concurrents s’encombrent de cet accessoire dont, il est vrai, on surestime souvent le poids et le mauvais aérodynamisme. Il faut sans doute y voir une influence du vélo de route.

Robert Goldie sur la French divide 2016 : un vélo qui s'apparente à la randonneuse par la fourche rigide et les freins canti mais n'en reprend pas les garde-boue.

Vu sur la French divide 2016 : le vélo gravel de Robert Goldie (ici à mi parcours de ses 2 000 km) a la fourche rigide et les freins canti de la randonneuse mais n’en reprend pas les garde-boue.

On aurait pu prendre à peu près le même exemple avec la bagagerie où le système classique (une armature fixée au cadre – c’est-à-dire un porte-bagage arrière ou un porte sac avant) a parfois été remplacé par des sacs directement fixés au vélo par des sangles, ce qui permet un léger gain de poids au détriment souvent de l’accessibilité). À cette seconde tendance se rattachaient les machines de Grade 9 (pour le chargement avant), Fée du vélo et PechTregon équipés de bike pack Ortlieb pour les deux premiers et Apidura pour le troisième. Là encore, il n’est pas inintéressant de voir dans les propositions des constructeurs un écho aux pratiques de plus en plus répandues dans les épreuves de grande randonnée.

Exit la sacoche de guidon : la solution bike pack d'Ortlieb a été choisie par Fée du vélo.

Exit la sacoche de guidon : la solution bike pack d’Ortlieb a été choisie par Fée du vélo.

Pour en revenir aux garde-boue, là aussi à peu près toutes les approches étaient représentées allant de leur absence assumée sur un tiers des machines (Vagabonde, Fée du vélo, PechTregon, Belleville Machine, JRD) à des modèles très enveloppants, le plus souvent des Berthoud (Sebastien Klein, Pierre Perrin, Edelbikes, Berthoud).

Sur la machine de Sebastien Klein : les large Babyshoe Pass de 42 mm confortablement enveloppés par les garde-boue Berthoud en inox poli.

Sur la machine de Sebastien Klein : les larges pneus Compass Babyshoe Pass de 42 mm confortablement enveloppés par les garde-boue Berthoud en inox poli.

Entre les deux, on a pu voir soit un mini garde-boue en bois de l’italien Ghisallo (Petrus) qui protège au moins l’étrier de frein et le dessous de la selle en cuir (sensible aux projections d’eau), soit des lames sans rebord et facilement adaptables sur un cadre à passages de pneu étroits, mais moins protecteurs que des garde-boue enveloppants.

En guise de garde-boue, Grade 9 a opté pour de simples lames étroites et discrètes.

En guise de garde-boue, Grade 9 a opté pour de simples lames discrètes.

Quelques constructeurs ont fait le choix de la légèreté tout en conservant un profil protecteur, c’est le cas de Milc, dont la machine était équipée de beaux C lite Curana (montés cependant un peu trop près du pneu), de Victoire avec des garde-boue en carbone de chez Swarf cycles et de Cattin qui a été le seul à présenter des garde-boue en alu poli.

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Sur la machine Cattin : les garde-boue du fabricant italien Bastia sont moins enveloppants que les Berthoud mais ils ont le mérite d’être en alu.

Mais ce sont les garde-boue en carbone intégrés au cadre de Cyfac qui auront certainement le plus retenu l’attention. C’est un choix qui a beaucoup fait pour l’homogénéité de la machine malgré le mélange des matériaux. Bien sûr, assez vite on ne peut s’empêcher de se dire que le choix est risqué : les garde-boue sont des composants particulièrement exposés et, en l’occurrence, briser un garde-boue, c’est briser une partie du cadre. Mais Cyfac était suffisamment sûr de son choix pour le présenter au Concours de Machines. Et c’est un tour de force qui témoignait de la maîtrise atteinte par ce fabricant dans le modelage de la fibre de carbone.

cyfac gb avant

Chez Cyfac, tête de fourche, garde-boue et support de phare ne forment qu’une seule pièce.

Si les différents choix en matière de garde-boue étaient en général cohérents avec le type de machines proposées, on peut cependant avoir deux regrets. D’abord, seuls deux fabricants, LaFraise et Mannheim, ont présenté des machines dont les garde-boue étaient équipés (d’origine pour les SKS en question) de bavettes. C’est loin d’être un détail tant ce composant est un attribut classique de la randonneuse traditionnelle.

lafraise bavettes

LaFraise a équipé sa machine de garde-boue SKS à bavettes avant et arrière.

Autre regret, tous les garde-boue avant du concours étaient trop courts. Le principal intérêt des garde-boue est en effet de protéger la transmission contre les projections, ce qui implique de les arrêter à peine à quelques centimètres du sol. À cette distance-là, le fond du garde-boue risque d’être endommagé lors du franchissement d’un obstacle (rebord de trottoir, tronc, bloc de pierre…) auquel la bavette, souple, a donc précisément pour fonction de laisser le passage. Malheureusement, sur aucune des machines du concours la hauteur au sol du garde boue ou de la bavette n’étaient adaptée.

mannheim bavette

Le garde-boue avant (et sa bavette) protège ici le cycliste de la tête aux genoux, ainsi que la direction du vélo mais le pédalier, les pieds et les chevilles du pilote restent exposés aux projections expulsées en gerbe ascendante par la rotation du pneu.

Traditionnellement, et non sans raison, la bavette descendait donc pratiquement jusqu’au sol, conformément à la recommandation de Daniel Rebour : « la bavette sera […] large d’une dizaine de centimètres et descendant presque jusqu’à terre ; cela évite en grande partie d’avoir les pieds mouillés si la route est trempée. » (Cycles de compétition et randonneuses, 1976). Au vu des propositions des constructeurs, on a pu croire la recommandation d’un autre âge. Pourtant, lors des épreuves, à défaut des machines du concours, la randonneuse d’un des membres du jury, encore celle de Jan Heine, en était équipée :

jan heine gb avant

La bavette touche les brins d’herbes tandis qu’en haut le garde-boue s’avance bien en avant du porte-sac afin de le maintenir au sec : pas de doute, il s’agit bien d’un garde-boue arrière (à peine) recoupé. Selon Rebour, en effet, « le modèle avant est toujours trop court. » La photo ci-dessus a été prise après la 3e épreuve : les garde-boue ont franchi sans encombre le parcours accidenté du gravel et le cadre reste relativement propre.

L’éclairage

Le concours demandait un éclairage autonome ou, à défaut, d’une autonomie d’au moins 8 heures. C’est la durée nécessaire pour tenir une nuit complète ou pour pouvoir enchaîner sur plusieurs jours des départs et des arrivées nocturnes. On est évidemment là dans la perspective de randonnées longue distance rapides auxquelles des randonneuses légères du concours sont idéalement destinées.

Bien sûr, il était difficile d’organiser une épreuve intégralement nocturne, sauf à s’associer, au moins pour une portion, à l’un des événements longue distance de l’été. L’éclairage a donc été testé par les pilotes lors du très matinal départ de la première épreuve, soit pendant à peine plus d’une demi-heure. Dans cette perspective, un éclairage à pile était en pratique amplement suffisant. Sur le strict plan du cahier des charges du concours, en revanche, peu de concurrents utilisant un éclairage à batterie auront respecté le critère d’autonomie pour l’éclairage avant, voire pour l’éclairage arrière, sauf à utiliser un mode économique de faible intensité parfois peu compatible avec une allure rapide sur route de campagne non éclairée.

Parmi les constructeurs ayant choisi l’éclairage à batterie, Andouard est le seul dont l’autonomie affichée dépasse les 8 heures réglementaires en utilisation à pleine puissance.

Andouard eclairage

Le phare Massi Leo dispose d’une autonomie de 9 heures à pleine puissance, obtenue grâce à sa batterie déportée.

Les autres constructeurs ont eu recours à des phares qui n’atteignaient cette durée en éclairage continu qu’à condition d’être utilisés à leur puissance minimale (Cateye Volt 800, Knog Blinder Road 400, Supernova Airstream).

Pour l’éclairage arrière, en revanche, l’autonomie a été la plupart du temps respectée, la puissance nécessaire étant bien moins importante. Deux randonneuses étaient cependant loin de l’atteindre en éclairage continu : l’une était équipée d’un feu B’Twin Vioo Clip dont l’autonomie annoncée est de 4h30, l’autre d’un feu Giant disposant de 6 heures d’autonomie en mode économique.

pechtregon giant

Le feu arrière à batterie Giant Numen est soigneusement intégré au cadre, mais l’autonomie ne dépasse pas 6 heures (3 heures à pleine puissance) sur cette machine pourtant équipée d’un moyeu dynamo.

Comme on le voit, le souci d’intégration était parfois présent même pour les éclairages à batterie. C’était notamment le cas pour le feu arrière du tandem Julie Racing Design :

JRD feu cappy

Le feu Lezyne Femto Drive, ici intégré au cadre, a le défaut d’utiliser des piles bouton mais offre une autonomie confortable de 30 h. C’est de toute façon la remorque qui a la charge d’assurer un éclairage arrière grand luxe sur le tandem JRD.

C’est à une autre forme d’intégration que s’est livré Victoire avec le feu arrière Airstream de l’allemand Supernova en lui fabriquant un support dédié brasé au tube de selle. Ce feu, de très bonne facture, utilise la batterie du phare avant, ce qui lui permet de rester relativement compact et d’afficher une belle finesse. Le paradoxe, c’est que sur la machine épurée de Victoire ce feu arrière qui dépasse apparaît presque comme une ostentation. Plus gênant, le feu arrière est tributaire de l’autonomie limitée du feu avant (7 h en mode économique, 2h30 à pleine puissance) alors même que s’ajoute pour le constructeur la contrainte du câblage. Ces limitations sont d’autant plus regrettables qu’il existe par ailleurs des feux arrières indépendants offrant une meilleure autonomie.

Victoire serrage selle

Le feu arrière Airstream atteint une finesse quasi imbattable obtenue grâce à sa liaison câblée à la batterie du feu avant.

Rappelons que le feu arrière est non seulement utile lors des trajets nocturnes mais aussi par temps brumeux ou sous la pluie. Son autonomie est donc un aspect qui a son importance. Pour ces raisons, le choix d’un éclairage autonome par dynamo a été fait par la majorité des constructeurs. Premier constat, la dynamo latérale connaît un petit retour en grâce, mais sous une forme modernisée et compacte, avec entraînement sur la jante et non via le flanc du pneu. L’intérêt de cette dynamo est de pouvoir être débrayée, contrairement aux moyeux dynamo, tout en n’étant pas (ou très peu) sujette aux inconvénients des dynamos positionnées sur le flanc du pneu (bruit, perte d’adhérence sur le pneu, perte de rendement). Les machines des cycles Cattin, Milc et Berthoud en étaient équipées.

L Milc velogical

Sur la machine Milc, la dynamo Velogical est positionnée sous base par l’intermédiaire d’une monture sur-mesure.

Sur cette machine, le phare avant et le feu arrière ont été particulièrement bien intégrés.

L Milc feu arr

Le feu arrière Supernova E3 est ici alimenté par la dynamo et intégré au tube de selle.

Outre l’intégration des phares avant et arrière, Milc avait aussi placé dans le cadre un bouton permettant de basculer entre l’alimentation soit de l’éclairage, soit du port USB situé à l’arrière de la potence ou bien en position off, la dynamo générant alors moins de friction (sans être toutefois mécaniquement débrayée).

Interrupteur 3 positions : phare, prise USB et OFF.

Interrupteur 3 positions au-dessus du boîtier de pédalier : phare, prise USB et OFF.

Petrus, Edelbikes et les deux machines de PechTregon étaient pour leur part équipées de moyeux dynamo du fabricant taïwanais Shutter Precision qui présentent l’avantage d’offrir un rendement proche des moyeux SON pour un coût inférieur.

pechtregon sp

Moyeu dynamo Shutter Precision dans sa version argentée à disque sur la machine légère de PechTregon.

Étonnamment, les constructeurs ont choisi des moyeux de la série 8 alors que les moyeux SP série 9 offrent un meilleur rendement en même temps qu’un poids moindre, ce qui avait évidemment son importance dans un concours de randonneuse légère.

Mais la solution majoritairement retenue était bel et bien le moyeu SON qui n’occasionne pratiquement pas de perte de rendement lorsque le phare est éteint, et reste extrêmement performant en position allumée. Il équipait les machines de Cyfac, Grade 9, Julie Racing Design, LaFraise, Perrin, Sebastien Klein et Vagabonde. Globalement, l’intégration du câblage était particulièrement soignée, la palme revenant à la machine de Cyfac dont les câbles n’étaient pratiquement pas visibles à l’avant et dont le feu arrière (un puissant Supernova E3) étaient entièrement intégré à la tige de selle.

cyfac feu arriere integre

Plusieurs fabricants ont opté pour le feu arrière SON dans sa version destinée à la tige de selle. Leur intervention a alors consisté à faire passer le câble à l’intérieur de cette tige. Petit aperçu de 3 propositions différentes :

Vagabonde feu arriere tds

Vagabonde : le câble est pris dans le serrage et remonte le long de la tige de selle.

L grade 9 TdS

Grade 9 : le câble entre dans la tige de selle sous le feu.

L klein feu arr

Sebastien Klein : solution particulièrement discrète et élégante, le feu est fixé à l’arrière de la selle…

L klein tds

… et le câble s’introduit au sommet de la tige de selle.

LaFraise s’est pour sa part démarqué en modifiant le feu pour porte-bagage et en lui fabricant un point d’ancrage spécifique sur le hauban :

fraise arriere

Sur la machine LaFraise on a d’ailleurs pu voir un travail simple et élégant de routage du câble, à défaut d’un recours à une liaison au moyeu par contact :

L fraise

L Fraise SON

Étant donné les efforts effectués par les fabricants pour l’intégration du câblage (on aurait aussi pu mentionner le beau travail des cycles Cattin ou de Berthoud), on regrette d’autant plus que seuls deux d’entre eux – Pierre Perrin et Sebastien Klein – aient eu recours à la version SL (« SteckerLos ») où la liaison électrique se fait par simple contact – et donc sans câble – entre l’axe du moyeu et la fourche. Cette solution est particulièrement destinée aux cadreurs réalisant leur propre fourche en acier. L’intérêt n’est pas seulement esthétique : en l’absence de branchement, le retrait et la remise en place de la roue est en effet plus rapide.

L klein SON SL

Aucun câble visible. Le moyeu SON en version SL parachève l’intégration parfaite de l’éclairage sur le Sebastien Klein.

Perrin L contacteur son sl

L’autre moyeu SON SL du concours : on devine le câble partant du contacteur pour cheminer à l’intérieur du fourreau de fourche (cycles Pierre Perrin).

Un détail qui en dit long : le porte-chaîne

L’une des bonifications du concours était attribuée à un système facilitant le retrait de la roue arrière sans toucher à la chaîne. Si la demande a pu paraître à certains presque saugrenue à une époque où la pratique du vélo tout terrain et la généralisation de l’absence de garde-boue nous a accoutumés à l’idée qu’un cycliste n’a d’autre espoir que de se salir, d’autres y ont vu au contraire un touchant clin d’œil aux époques où l’élégance et la propreté du cycliste avaient leur importance. Il n’est d’ailleurs pas rare, en parcourant l’histoire du cyclotourisme, de voir certains de ses pratiquants au fil des temps s’y plaindre de la dégradation du soin vestimentaire des nouvelles générations.

Mais preuve donc que le cyclotourisme se distinguera toujours par le souci du confort, les constructeurs étaient appelés à pencher sur le meilleur moyen de dispenser leur pilote de se salir les mains en cas de crevaison – et il y en eut.

Les solutions proposées étaient parfois des plus simples en reprenant le principe de la petite butée brasée à l’intérieur du hauban de droite et permettant de suspendre la chaîne :

Andouard repose chaine

Andouard opte pour un support à l’intérieur du hauban comme on pouvait en trouver sur les cadres aciers des vélos de route jusque dans les années 80.

D’autres ont adapté le protège-base traditionnel en l’associant au support sur base. Quelques exemples de solutions adoptées :

  • Chez Sebastien Klein, le protège-base Compass pointe vers le haut côté transmission : la chaîne montera plus facilement pour y demeurer au repos:

klein protege base extremite

  • Le repose-chaîne est déporté à l’intérieur de la base chez LaFraise pour un meilleur maintien de la chaîne :

RC fraise

  • Chez Julie Racing Design, le système fonctionne sur le même principe, associé à une protection enroulée autour de la base :

JRD repose chaine

JRD repose chaine 2

  • PechTregon aime la récup’ et nous fait un clin d’œil en usant de sangles Christophe en guise de protège-base et les associe à un discret crochet repose-chaîne :

PECH repose chaine

Pech sangle repose chaine L

  • Chez Cyfac, on ne se corrige pas en associant le repose-chaîne en inox à un protège base en carbone, qui est à lui seul une belle rareté :

cyfac repose chaine

cyfac repose chaine 2

  • Mannheim, comme Histoire, fait d’une pierre deux coups en utilisant ses porte-rayons plats comme protège-base :

mannheim transmission

  • Mais c’est assurément Berthoud qui aura poussé le plus loin le défi. Côté transmission, c’est une tête de vis et un contre-écrou montés dans un œillet fileté qui font office de repose-chaîne.

Berthoud vis support chaine

L’avantage de ce système est de pouvoir s’ajuster parfaitement à la longueur de la cassette et à la largeur de la chaîne. Cette précision est importante car la chaîne vient automatiquement se positionner sur le repose-chaîne grâce à un détendeur de câble situé sur le tube diagonal :

berthoud detendeur

La butée coulisse sur une gorge inclinée et relâche la tension du câble qui libère le dérailleur arrière vers l’extérieur et fait ainsi monter la chaîne sur son repose-chaîne. On retrouve ce principe sur les commandes d’embrayage manuel de dynamo des anciennes randonneuses d’artisan. Plus près de nous, c’était un moyen d’ajuster la tension du câble à l’époque des premiers leviers de vitesses indexés.

detendeur cable

Un exemple de détendeur-ajusteur de câble Shimano Dura-Ace du début des années 90.

Les dérailleurs de cyclotourisme avaient aussi traditionnellement une position débrayée qui, en association avec un support arrondi à l’intérieur de la patte arrière droite, libérait mécaniquement la cassette de sa chaîne. Le dérailleur Nivex est le plus réputé d’entre eux mais d’autres dérailleurs ultérieurs ont pu être adaptés de la même façon :

derailleur rebour PC

Support de chaîne à l’intérieur de la patte sur une randonneuse René Herse (Dessin : Daniel Rebour)

Aucun constructeur du concours n’a cependant proposé un tel système, malgré la vogue des pattes coquilles qui semblent si bien s’y prêter.

La potence ou l’ultime marque de fabrique

Enfin, il y a un composant pour lequel le concours ne formulait aucune consigne et qui est pourtant un peu la signature d’un vélo d’artisan : la potence. Il était évidemment possible d’utiliser un composant du marché. On a d’ailleurs pu noter la présence quasi hégémonique de la marque américaine Thomson (qu’on retrouvait aussi pour un certain nombre de cintres et de tiges de selle). Mais les cadreurs qui ont réalisé leur propre potence ont pu pousser un peu plus loin la cohérence de l’ensemble de la machine. Le détail est d’autant plus important que c’est l’une des parties du vélo que le cycliste aura le plus souvent sous les yeux.

On a ainsi pu voir des potences gravées (Fée du vélo), des potences à raccord identique au reste du cadre (Perrin, LaFraise), entièrement usinée (Berthoud). D’autres reprenaient le style du reste du cadre (Andouard, Victoire, Grade 9, Julie Racing Design). Voici donc, pour conclure, un petit florilège de ces potences « maison » :

PechTregon

PechTregon

Gilles Berthoud

Gilles Berthoud

Pierre Perrin

Pierre Perrin

victoire potence comp

Victoire

On peut retrouver sur le site du constructeur quelques détails de fabrication de cette dernière potence, une atypique réalisation à trois branches.

Ainsi se clôt notre série consacrée au concours de machines 2016. On a pu voir que l’inventivité et la maîtrise des cadreurs s’apprécie jusque dans les moindres détails. Tout l’enjeu est de trouver la bonne mesure entre la débauche de fioritures et le caractère rudimentaire auquel nous ont habitués les vélos de route. Plus on ajoute de fonctions à un vélo, plus il est en effet difficile de conserver son élégance et une ligne homogène. La plupart des machines du concours y sont cependant parvenues et cela sans forcément recourir aux excès décoratifs qu’on peut rencontrer dans certains salons statiques. La force du concours de machines aura en effet été de confronter in fine toutes les propositions des constructeurs au laboratoire de la route (pour reprendre l’expression de Vélocio) et de prolonger l’émulation entre les fabricants par une concurrence amicale entre les pilotes.

Voir aussi les précédents articles de la série consacrée au Concours de Machines 2016:

– Ambert 2016 [1/5] : la renaissance du Concours de Machines
– Ambert 2016 [2/5] : la section amateurs et premières armes
– Ambert 2016 [3/5] : la nouvelle vague des cadreurs français
– Ambert 2016 [4/5] : les cadreurs historiques

4 réflexions sur “Ambert 2016 [5/5]: composants et choix techniques

  1. Excellente série d’articles sur le concours! Vos photos et votre compte rendu respire le technique et cela fait du bien.

    Une petite note sur le montage des gardes boues et de la bavette: je trouve pour l’avoir essayé, qu’une bavette trop proche du sol a tendance à « ramasser » les petits cailloux et brindilles le sol. Je préfère laisser au moins 5 cm de distance entre la bavette et le sol.

    Intéressants détails sur le porte chaîne. Je serais curieux de savoir si les concurrents qui ont crevé s’en sont servis..

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    • Merci pour votre commentaire. Pour la bavette, en effet, 5 cm ou un peu plus, me paraissent être la bonne hauteur. Parmi les constructeurs qui ont crevé, à ma connaissance seul Berthoud était équipé d’un repose-chaîne. A priori le système ne fait pas perdre de temps et, une fois que le cycliste est rodé, ça doit même pouvoir lui en faire gagner un peu. Mais à la remarque d’un des membres de l’équipe Berthoud, qui je pense était le pilote, je ne crois pas qu’il l’ait utilisé. Il doit falloir se familiariser avec la manœuvre et il n’a peut-être pas eu la présence d’esprit, dans le contexte de l’épreuve, d’utiliser ce système surtout destiné au cyclotouriste qui cherche à éviter de mettre les mains dans la graisse et à en mettre ensuite sur son équipement et sur ses vêtements.

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