Le Concours d’Ambert est aussi l’occasion de voir de près des Machines d’exception réalisées par des cadreurs d’expérience. Et s’il n’y a que trois marches sur le podium final, la plupart des randonneuses n’en atteignaient pas moins, chacune dans leur catégorie, une forme d’excellence. C’est donc avec ces artisans expérimentés, ces « maîtres cadreurs », que nous profitons de la trêve hivernale pour achever – avec bien du retard – cette revue de la foisonnante 2e édition du Concours de Machines.
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Andouard (Saint Juéry – Tarn)
Même lorsqu’il joue la carte de la sobriété en présentant une machine monochrome, Philippe Andouard signe des vélos à la personnalité affirmée. La Machine de cette édition 2017 n’a pas échappé à la règle en multipliant les figures de style.
La première originalité de cette randonneuse, et qui est aussi une des marques de fabrique de Philippe Andouard, est l’association d’un diamètre de jante de 700 à l’avant et de 650 à l’arrière. Ce choix hétérodoxe confère à la machine un avant massif et un arrière qui va s’affinant, effet que permet de souligner le profil du tube supérieur en Columbus SL, comme le reste du cadre.
L’avant présente un travail de cadreur complet comprenant une potence à deux branches originale.
Cette potence est complétée, juste en dessous, par une imposante fourche à double plaquettes :
Guide gaine entre les deux plaquettes et monogramme en bossage impriment la patte Philippe Andouard.
L’association de pneus de 700 en large section, de garde-boue (retirés après la 1ère épreuve) et de doubles plaquettes élèvent d’autant la hauteur de la tête de fourche. Cette géométrie est évidemment à réserver à un cycliste de grand gabarit. Autre conséquence, les épaules carrées de la tête de fourche entrent en contact avec le tube diagonal lorsque le guidon est tourné à 90°. Des butées sur la tête de fourche et à l’arrière du tube de direction sont destinées à parer à cette éventualité.
Le 29’’ en association au garde-boue limite la place à l’avant du poste de pilotage. Andouard a donc opté pour un portage via des surbaissés associés à une fixation KlikFix pour une manipulation rapide.
L’arrière multiplie lui aussi les solutions originales. Le tube horizontal se prolonge au-delà du tube de selle, lui-même équipé d’un faux serrage.
C’est en effet un système invisible par expandeur, au sommet de la tige de selle, qui permet de serrer cette dernière :
Toujours à l’arrière, le hauban droit est équipé d’un repose chaîne…
… et les pattes sont équipées d’œillets pour le montage des garde-boue, en l’occurrence un modèle Specialized modifié par Andouard pour faciliter son retrait mais qui ne survivra pas à la 1ère épreuve.
Le portage du nécessaire de réparation faisant partie des critères du concours, Andouard a conservé la solution déjà présentée l’année dernière : des rangements fixés sous les porte-bidon :
Si certains partis pris peuvent sembler excessifs sur cette machine résolument originale, ils sont au fond la marque d’un cadreur généreux qui aime à montrer les différentes facettes de son art, et la 2e place au prix du public décrochée par Andouard montre que les cyclosportifs expérimentés qui constituaient une bonne partie du public d’Ambert y ont été sensibles.
Le site de Philippe Andouard : cyclesandouard.com
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Arko (Slovaquie)
Une machine de concours échappe rarement à l’exercice de style. Elle est l’occasion pour un cadreur de pousser un peu plus loin une idée, d’expérimenter au-delà du mode de fabrication habituel. Sur le plan esthétique, le jeu a consisté pour Arko à reproduire le motif des trois points et des trois couleurs en différents endroits du cadre et des composants. Sur le plan technique, c’est le traitement du câblage qui aura fait l’objet d’un soin tout particulier.
Il est notable que, lors de ce concours, ce sont les cadreurs étrangers qui ont le plus résolument adopté les codes et l’esthétique de la randonneuse française classique. Arko confirme la règle en présentant une machine (Columbus SL) qui est comme son nom l’indique – Bebel – un reflet de l’imaginaire associé au pays hôte. En l’occurrence, une silhouette qui ne déparerait pas au milieu des machines des anciens concours :
Dans le détail, on retrouve logiquement le travail soigné de l’artisan cadreur…
… ainsi qu’un goût réel pour les beaux polissages au niveau du serrage de selle ou de la patte de dérailleur…
… aussi bien qu’à l’avant du vélo : la potence au standard moderne a toutes les apparences d’un modèle classique. Petit détail virtuose en plus: la sonnette vissée sur la vis de serrage taraudée.
La fonction de portage est l’occasion de rejouer élégamment cette partition classique avec le décaleur…
… et le porte-paquet joliment ciselé…
… sur lequel une petite patte courbée accueille la pompe réglementaire :
Le dessus de la tête de fourche est lui-aussi poli, comme à la belle époque :
Souci du détail qu’on retrouve – de manière un peu plus anecdotique – à travers le motifs des trois points :
Parmi les équipements, on notera aussi un original moyeu slovaque à rayons droits :
Ainsi qu’un feu arrière B+M monté sur un garde-boue au profil utilitaire.
Au niveau du travail du cadre, c’est plus particulièrement le routage des câbles qui aura été l’occasion de mettre en évidence le souci du détail du cadreur. Le coin sombre du chapiteau où se trouvait exposée la machine ne mettait pas en valeur un traitement qui visait précisément à la discrétion: l’essentiel des câbles de frein et de dérailleurs chemine en effet en tension via la boîte de pédalier. C’est le cas des câbles de dérailleurs qui longent le tube diagonal et entrent sous la boîte de pédalier :
Tandis que le câble du frein arrière, après un routage à l’intérieur du tube diagonal, sort au-dessus de la boîte de pédalier et longe la base gauche :
Aussitôt entré, le câble de dérailleur avant ressort quant à lui à l’arrière de la boîte de pédalier :
Les gaines reviennent uniquement à l’extrémité des bases avec un routage interne côté transmission et externe côté frein :
À l’avant, la liaison du phare vers le feu arrière est réalisée en externe par une série d’œillets brasés sous le porte-paquet. Côté frein, au lieu d’amener le câble par une gaine, comme l’étrier s’y prête, le cheminement se fait par câble nu.
L’économie de frottement et de poids liée à l’absence de gaine peut avoir motivé ce choix mais le jeu de renvois de câble présente un attrait esthétique indéniable :
On retrouvera sur le site d’Arko et sur sa galerie Flickr des photos prises sous le soleil que le bel émaillage de cette randonneuse mérite.
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Gilles Berthoud (Pont-de-Vaux – Ain)
Avec son association heureuse de verni rouge, de carbone et d’alu poli, la randonneuse Berthoud ne passait pas inaperçue, cet été, à Ambert. Ce n’est pourtant que cet hiver, à Paris, que j’ai eu l’occasion de la photographier en détail. Entre temps, son pilote, qui en a fait sa machine personnelle, a accumulé à son guidon un volume d’heure impressionnant avec en particulier une participation – et une préparation – à la Transcontinental Race.
Après quelques chutes, l’usure du verni aux arêtes des raccords et une modification du porte-bagage, cette machine n’a pourtant rien perdu de son éclat et de son pouvoir d’attraction.
Ce qui attire en premier lieu le regard, c’est un cadre aux belles proportions, sans fioritures et néanmoins élégant, et qui surtout aime jouer avec la lumière.
Les haubans rejoignent le tube horizontal au-delà du tube de selle et se finissent en longs sifflets incurvés :
Cette douceur des lignes et des finitions se retrouve à plusieurs endroits :
Le cadre est par ailleurs orné de marquages discrets qui en racontent l’histoire. Un « Cave canem » rappelle le programme de la randonneuse : la Transcontinental Race et les chiens errants qui hantent ses routes.
Tandis que le nom du pilote orne comme il se doit l’autre extrémité du tube supérieur.
Au niveau du câble principal, à l’exception du câble de frein arrière, tous les câbles sont électriques et circulent par conséquent à l’intérieur des tubes.
Le freinage est à disque mécanique, un choix motivé, toujours dans l’optique de la longue distance, par la recherche de l’efficacité et de la facilité d’entretien et de réparation. Là encore, les supports d’étriers s’intègrent parfaitement au cadre:
À l’avant, la gaine est guidée par un coulisseau le long du fourreau.
La tête de fourche à double plaquette a quant à elle été entièrement réalisée par Vincent Cretin, le cadreur de Berthoud :
Comme on peut le noter, le porte paquet n’est plus dans son état initial. Conçu pour la sacoche compacte du Concours de Machines, il a dû être rabaissé en modifiant ses points d’attache pour accueillir une sacoche de guidon moins minimaliste en vue de la Transcontinental Race.
Ce porte-paquet reste parfaitement cohérent avec le cadre puisqu’on y retrouve la douceur des lignes…
… et le souci du détail avec notamment un routage particulièrement discret à l’intérieur des tubes d’inox du porte-paquet.
Au poste de pilotage on trouve une fine potence ahead Nitto en acier chromé qui perpétue le goût des reflets caractéristiques de cette randonneuse. La sonnette réglementaire y tombe naturellement sous le pouce droit.
Le boîtier de contrôle est quant à lui discrètement vissé sous la potence.
Le cintre, pour sa part, est habillé de composants typiques de la maison Berthoud : ruban en cuir, bouchon de cintre…
… et rétroviseur intégré :
Cette randonneuse légère ne se contente pas d’être élégante. Elle est propulsée par une transmission moderne et performante dont le cœur est un groupe Dura Ace Di2.
Le très traditionnel pédalier René Herse se marie étonnement bien avec ces composants modernes.
On se souvient que l’année précédente le pédalier était de fabrication interne. Cette fois-ci, les composants maisons étaient moins présents sur la machine Berthoud. Ainsi, les classiques garde-boue en inox poli ont laissé la place à des modèles en carbone sur-mesure dont les reflets subtils se mariaient particulièrement bien avec le métal poli.
L’éclairage repose sur une solution à la fois classique et haut de gamme avec un ensemble de phares et de dynamo SON. Situé sur le garde-boue, le feu arrière adopte un positionnement parfait à l’usage : suffisamment haut pour être bien visible sans être masqué par un bagage de selle ou une cape de pluie.
Au Concours, Berthoud a présenté en avant première une version Thru axle – quasi indispensable avec un freinage à disque – de la dynamo SON SL (sans contact).
En intégrant sur sa machine des pièces réalisées par des tiers, Berthoud, au prix de quelques points de bonification en moins, a fait le choix de mettre en lumière ses collaborations avec d’autres acteurs du monde du cycle (SON, Compass/Herse, Cyfac). Mais ces fournisseurs, en apportant des composants à la fois typiques de la randonneuse et d’une qualité irréprochable, participent du haut niveau de la machine.
Preuve de la qualité générale aux yeux des plus avertis, Gilles Berthoud a obtenu la 3e place au vote des constructeurs.
Les vélos et les produits Gilles Berthoud sont visibles sur le site de la marque: gillesberthoud.fr
Le pilote de la machine, Victor Decouard, vient d’ouvrir sa propre boutique de cycles à Levallois-Perret: cycles-victor.fr
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Les autres articles consacrés au Concours de Machines 2017 sur Cyclodonia :
- 1ère partie : l’enfer d’Ambert
- 2e partie: le podium du concours de machines : Pechtregon – J. P. Weigle – Cyfac
- 3e partie: les prix spéciaux
- 4e partie : la nouvelle garde, part. I / la nouvelle garde, part. II
- 5e partie : les maîtres cadreurs, part. II (à venir)