La nouvelle garde (part. II) – Concours de Machines 2017

Quelques photos prises au Concours de Machines sont encore dans les cartes-mémoire et il est grand temps de poursuivre le compte-rendu de l’édition 2017. On n’est plus dans le feu de l’actualité, il est vrai, mais en compensation on y trouvera peut-être la délicate saveur du souvenir.

La jeune garde des cadreurs, comme on a déjà commencé à le voir, a fait belle figure avec des réalisations de très bon niveau. Achevons de faire le tour de leurs machines prometteuses :

Martignac (Saint Jean – Haute-Garonne)

Martignac tire son nom d’un toponyme au suffixe irrésistiblement évocateur du Sud-Ouest, de ses routes vallonnées, de ses beaux villages… et de son industrie aéronautique de pointe dont les compétence auront une fois encore été mis à profit à Ambert. Car il y avait un peu de tout cela dans cette machine.

Le cadreur, Marc Cougoule, a présenté au Concours son troisième cadre et sa première fourche sur la base desquels a été montée une machine discrète et parfaitement conçue.

Un cadre discret et  –  malgré les pneus larges en 700 et les garde-boue  –  une longueur de bases contenue (443 mm).

Le cadre (Columbus Life et Zona) est conçu pour la randonnée longue distance sur tous types de chemins: le triangle principal peut accueillir trois bidons, soit un de plus que ce qui est exigé par le règlement, et les passages sont suffisants pour accueillir les volumineux pneus de 700 en 44 mm – soit l’un des plus gros volumes d’air du concours – ainsi que leurs garde-boue. Sa livrée gris-bleu mate, appliquée en outre sur une bonne partie des composants, eux-mêmes désiglés pour la plupart, lui assure une discrétion certaine, choix qui pourra paraître étonnant pour une machine de concours.

Butée de gaine à la discrétion élégante comme l’ensemble de la machine dont la signature n’est pas à chercher sur le tube diagonal mais se dissimule l’intérieur des bases.

Le soin apporté aux détails du cadre est réel mais toujours avec une certaine sobriété et en gardant en vue la fonctionnalité. Exemple en est le choix des mini V brake, efficaces avec leur tirage court, mais auxquels les autres concurrents ont préféré la solution plus moderne des freins à disque ou plus élégante des freins à tirage central.

Les garde-boue sont classiquement en alu poli (Bastia) mais avec un enveloppement réduit. Ce minimalisme sied aux contraintes du concours mais le cadre a été calibré pour accueillir au besoin des garde-boue plus enveloppants.

Au sortir de la première épreuve, particulièrement boueuse, l’essentiel du vélo est relativement épargné, seules les parties proches des flancs auraient bénéficié d’un profil plus enveloppant.

Martignac a eu le mérite de présenter une réalisation à peu près complète qui incluait notamment la fabrication de la fourche et le montage des roues.

Raccord de tête de fourche ajouré, jantes DT Swiss R460 et pneus Compass.

La fourche à raccord ajouré dissimule sous le pivot une patte de fixation du garde-boue, et c’est la tige filetée du porte-paquet qui sert au serrage de ce dernier :

Comme le cadre, la fourche trahit le passé de grand randonneur du cadreur: plusieurs points de fixation permettront le montage de différents porte-bagage :

La fourche est dûment équipée : tasseaux de freins et paire de plots accueilleront une grande variété de porte-bagage. L’entraxe sera en revanche trop court pour accueillir un porte-bidon ou support de bike pack.

Petit détail qui fait la différence, Martignac a été le seul participant au concours à prévoir un support de capteur de vitesse : l’un des intérêts des cadres sur-mesure est précisément d’offrir au cycliste ce genre d’attentions.

Dans un même souci esthétique, les fourreaux comportent un routage interne du câble d’alimentation.

Léger (au prix d’un entre-flasque étroit), calibré pour la vitesse et offrant par conséquent l’un des meilleurs rendements, le SV-9, monté ici en 24 rayons, est un bon candidat de concours.

L’autre originalité réside dans le choix d’un moyeu dynamo Shutter Precision SV-9 que Martignac a été le seul à choisir. La distance entre les flasques du SV-9 (dont on a déjà parlé ici) est un peu étroite et il n’offre pas sa pleine puissance à faible vitesse, mais son poids plume (309 g) et son rendement supérieur aux autres moyeux pour roues à grand diamètre en faisait un choix idéal pour le Concours de Machines. Le choix des 24 rayons, s’il n’offre pas la meilleure assurance de longévité, reste du moins cohérent là aussi avec l’exigence de légèreté du Concours. Ces choix sont judicieux et on regrettera d’autant plus que le feu arrière (sur batterie) n’ait pas été relié au circuit électrique. Martignac n’est toutefois pas le seul (cette année et la précédente) à avoir choisi cette solution.

Enfin, toujours à l’avant, on peut aussi noter la présence d’un décaleur sur-mesure.

Le décaleur est lui aussi une réalisation personnelle, mais fortement inspirée du modèle Berthoud.

En résumé, la machine de Martignac tente une synthèse entre la randonneuse classique (fourreaux fins et cintrés associés à une chasse courte de 29,5 mm) et le vélo de grand chemin, conformément au programme du Concours très orienté gravel cette année (roues de 700 et section large, V brake, pédalier 4 branches et plateaux  28-42).

On note aussi que, si la tentation est grande de succomber à l’appel des nouveaux standards lors d’un Concours, Martignac a visiblement gardé en tête le fait que les solutions éprouvées seront aussi les plus facilement réparables dans un contexte de voyage au long cours.

On peut retrouver l’actualité de Martignac sur sa page Facebook et un entretien avec son cadreur consacré à sa participation au Concours de Machines dans le n° 671 de la revue Cyclotourisme de la FFCT.

Menhir (Rennes)

Menhir a présenté une machine qui a donné lieu a un important travail de cadreur et qui convoquait plusieurs solutions originales tant pour le cadre que pour la fourche.

Une géométrie originale composée d’un assemblage de divers tubes Dedacciai et Columbus.

Côté cadre, Menhir a participé de la tendance de cette année en concevant un triangle arrière repliable et amovible. Au niveau des bases, comme chez PechTregon, deux colliers enserrent la boîte de pédalier sur sa partie extérieure.

On note la vis sur le pontet inférieur permettant de dissocier les deux bases.

En utilisation, ces deux colliers sont vissés :

Lors du compactage, les colliers peuvent être simplement desserrés pour permettre le pliage sous le tube diagonal, ou complètement démontés en dévissant les pontets. À la différence de PechTregon, c’est au niveau du whisbone que les haubans se détachent :

Les haubans se rejoignent sur un classique collier de serrage.

Côté fourche, c’est une répartition des contraintes du freinage à disque sur deux fourreaux fins de chaque côté de la roue qui a été retenue. Cette solution nécessite de nombreux cintrages.

Et s’il serait difficile de trouver sur cette machine une quelconque fioriture en matière de cadrage, la jonction des quatre tubes et du pontet de renfort sous le pivot de direction offre au regard un impressionnant jeu de courbes :

Preuve de l’intelligence de la conception, malgré la complexité de cet assemblage, la fourche conserve un poids comparable à celui d’une fourche acier destinée à recevoir des freins à disques, tout en offrant une rigidité supérieure. Pour le confort, Menhir s’en remet au volume et à la souplesse des pneus Compass en grande section (650B x 48).

Les pattes coquilles, à l’avant comme à l’arrière, sont elles aussi de fabrication maison :

Le travail de cintrage ne s’est pas limité à la fourche: les haubans s’écartent pour laisser l’espace suffisant à l’étrier de frein.

Côté équipement, Menhir choisit la fonctionnalité, quitte à s’éloigner là aussi des canons de la randonneuse classique : les câbles tous externes et intégralement gaînés limitent et facilitent à la fois la maintenance :

Le cintre plat multiposition permet aussi bien de manœuvrer dans les chemins que d’adopter une position plus en avant sur les longues lignes droites roulantes :

Le cintre H Bar de Jone bikes permet notamment d’offrir davantage de stabilité au bikepacking.

Et le feu arrière, relié à une dynamo Velogical sur jante, est protégé sous la base gauche :

Chez Menhir, l’élégance est souvent secrète, comme ici avec l’inscription de la marque par masquage laissant apparaître l’acier brut des bases – et protégé par vernis comme le reste du cadre.

La réalisation de nombreuses pièces et solutions spécifiques ainsi que la cohérence de la machine en ont fait l’une des propositions les plus intéressantes du concours de la part d’un jeune cadreur. Par bien des aspects, cette machine faisait écho à la proposition du gagnant du concours lui-même (fourche Truss, solution de pliage retenue, livrée mate, choix du 650B x 48) ce qui a pu en partie atténuer l’originalité pourtant réelle de la proposition de Menhir par rapport à l’ensemble des machines présentes.

Un headbadge en forme de mégalithe qui rappelle l’encrage breton et l’esprit de la maison : l’attrait pour les pierres mal dégrossies des chemins plus que pour les raffinements et les fioritures.

Reste un vélo voyageur, prêt à affronter tous les terrains, à embarquer en avion ou en train et à transporter une bagagerie conséquente en mode bikepack. Et qui offre tout cela dans un relatif dépouillement, gage d’une pérégrination sans scrupule.

Yohann Loncle, pilote et cadreur de Menhir, dans l’ascension du col du Béal.

Les productions de Menhir cycles sont à retrouver sur le site de la marque.

Nomad cycles (Bordeaux)

Je n’ai eu l’occasion de photographier que très rapidement la machine présentée par Nomad. Le cadre n’est pas passé par l’émaillage, faute de temps, et a été présenté sous un habillage rouillé assumé : avec le temps chaud et humide de ce début juillet, en quelques jours le cadre laissé brut s’est couvert de traces d’oxydation lui conférant un petit côté Mad Max qui allait en définitive assez bien avec le programme de la machine.

Fin Skillen lors de la présentation de sa machine au jury.

La randonneuse de Nomad faisait partie des machines baroudeuses, calibrées pour la piste et le bikepacking. Mais le cadre pouvait aussi bien servir de base, avec d’autres équipements, à une randonneuse Rohloff, à un cyclo-cross mono-vitesse voire à un pignon fixe utilitaire. Cette polyvalence, il la doit en partie à ses pattes arrières ajustables, véritable couteau suisse de ce vélo :

Derniers ajustements avant le départ de la 2e épreuve. Les pattes Tange – IRD, pourvues d’œillet pour porte-bagage et garde-boue, acceptent aussi une grande variété de transmissions.

La fourche KUK en carbone n’étant pas pourvue d’œillets, le portage se faisait via un sac de cadre ainsi que via une armature sur tige de selle permettant de recevoir différents types de chargements : sac à dos ou, en l’occurrence, poids mystère du Concours dont le volume n’était pas connu à l’avance par les concurrents.

Le portage est assuré par un ensemble de sacs Restrap (Royaume-Uni) avec notamment un sac de selle relativement astucieux.

Solide et sans souci, le cadre doit beaucoup au monde du cyclco-cross et du tout terrain avec un léger sloping, un tube de direction conique, un routage externe et entièrement gaîné des câbles via le tube supérieur :

Haubans et tube supérieur sont soudés à un raccord qui renforce cette partie du cadre.

Peu orientée sur le confort d’usage (pas de garde-boue ou d’éclairage autonome), cette randonneuse se veut surtout efficace et adopte résolument les standards modernes : freins à disque et axe traversant à l’avant, transmission 1×11 mixant composants route et VTT, plateau Rotor ovale… Ni randonneuse classique, ni bête de compétition, la machine de Nomad représentait avec cohérence la famille des vélos taillés pour aller jouer sur les pistes avec efficacité et surtout légèreté, dans tous les sens du terme.

Pour se tenir au courant de l’actualité de Nomad cycles, rendez-vous sur la page Facebook de son cadreur.

Cyles Petrus (Poitiers)

Julien Petrignet des cycles Petrus aime à la fois les défis et sortir des sentiers battus. Après le cadre bi-tubes de l’édition 2016, il revient cette année avec un cadre en bambou. L’intervalle entre les deux éditions aura été mis à profit pour acquérir les compétences pour réaliser un cadre dans ce matériau, monter un premier prototype et finalement obtenir une machine capable de concourir au milieu des randonneuses en acier haut de gamme, titane et carbone qui se sont retrouvées à Ambert.

Le bambou – récolté et séché par le cadreur – constitue le composant essentiel. Les raccords sont réalisés en résine, les tube de direction et boîte de pédalier sont en acier, la fourche est en carbone et les pattes sont découpées sur mesure dans de la tôle d’acier de 5 mm.

Coup d’essai concluant pour cette unique randonneuse en bambou présentée à Ambert à ce jour. Poids du cadre hors fourche : 2385 g.

Les bases ont été remplies de résine et renforcées avec une tige filetée afin d’augmenter la rigidité au niveau de la boîte de pédalier lors du pédalage et d’encaisser sans doute aussi les contraintes du freinage à disque. Cela permet de se contenter de tubes relativement fins mais, l’ovalisation n’étant pas disponible avec les tubes en bambou, une entaille a été nécessaire pour limiter le Q Factor en faisant passer la manivelle au plus près des bases :

La liaison du cadre avec la selle se fait par l’intermédiaire d’un manchon de selle :

Manchon Ritchey directement fixé sur le tube de selle en bambou dont le diamètre extérieur a soigneusement été sélectionné à cet effet.

Ce cadre est un authentique cadre de randonneuse capable d’accueillir tous les composants bonifiés par le concours : pneus de 35 mm (Schwalbe G-One Allround) et garde-boue enveloppants…

Les garde-boue en alu martelé Velo Orange en version anodisée noire afin de s’accorder à la livrée bicolore de la machine.

Attribut par excellence de la randonneuse, la bavette équipe non seulement l’avant mais aussi l’arrière : Petrus respecte ses compagnons de route.

Pattes et haubans acceptent garde-boue et porte-bagage : Petrus aura en effet été l’un des seuls à choisir le portage sur porte-bagage arrière.

Les haubans sont équipés d’oeillets pour recevoir garde-boue et porte-bagage. Le câble d’alimentation sort au niveau du raccord de selle et rejoint discrètement le feu arrière.

On a reproché l’année dernière à Petrus son circuit électrique peu soigné. On constate cette année à l’inverse que le câblage de la machine a été particulièrement bien intégré.

La dynamo Shutter Precision alimente phares avant et arrière, le routage vers ce dernier se faisant via le tube supérieur. Un convertisseur USB maison est dissimulé dans le tube de selle :

Il permet d’alimenter un port USB très discrètement ménagé à l’avant de la potence :

Aucun boîtier, aucun câble ne sont visibles à l’extérieur du cadre pour cette fonctionnalité. La performance mérite d’être saluée. Le routage des câbles de frein et de dérailleur se fait lui aussi tout aussi discrètement via tube supérieur puis haubans (après perçage des cloisons internes du bambou).

L’élimination du câblage apparent a été l’une des ambitions de Petrus pour cette machine. Le choix de la transmission 1×11 participe de cette intention.

Avec cet Hurluberlu, Petrus a démontré que le cadre bambou est compatible avec la réalisation d’une randonneuse moderne (freins à disque, circuit électrique intégré), entièrement équipée et visuellement nette grâce au câblage interne.

Le logo réalisé en pochoir revendique le travail artisanal et rappelle, en transparence, l’originalité du matériau utilisé.

La page Facebook de Petrus permet de suivre l’actualité de ce cadreur inventif.

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Une réflexion sur “La nouvelle garde (part. II) – Concours de Machines 2017

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